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Il n’est pas rare aujourd’hui de voir les termes Digital et Numérique se confondre en un sens admis par tous comme synonymes. Par tous ? Pas tout à fait. Nous devrions même dire qu’une guerre fait rage sur la signification de ces deux mots. Alors avons-nous le droit de les utiliser impunément et sans distinction ? C’est ce que nous allons voir !
Avant toute chose, remontons quelques décennies en arrière afin de comprendre un peu mieux l’Histoire de ce débat.
Apparu un siècle avant la naissance de notre cher Jésus Christ, le concept de nombre
fût d’abord signifié par l’adjectif latin numerus
, très vite récupéré tel quel par la langue française en devenant numérique
. Le dictionnaire Larousse définit d’ailleurs le sens de ce mot en ces termes :
Néanmoins, c’est avec l’évolution des techniques d’enregistrement du siècle dernier (notamment issues des milieux informatiques et des télécommunications, basés sur des systèmes binaires, donc numériques) que le terme a le plus évolué, donnant à numérique
les sens de :
Voilà, maintenant vous pourrez briller lors des dîners de famille avec tonton Denis (je vous laisse vous débrouiller pour le caser par contre, chacun son travail hein !).
Là où le débat se corse, c’est lorsque nous commençons à aborder le sens de notre fameux digital
. Une fois encore, retournons aux fondements du concept.
À la base, digital
est un adjectif issu du latin digitalis, qui signifie doigt
:
Vous voyez le problème ? En fait, je dois vous avouer avoir omis une petite information : digital
est un mot polysémique, c’est à dire qu’il a plusieurs sens : un en français, et un en anglais. Car oui ! Ce mot est aussi anglophone !
Chose amusante, c’est parce que l’on comptait sur ses doigts que, de l’origine également latine, l’anglais s’est orienté vers le terme de digit
, le chiffre
, puis vers digital, qui utilise des nombres
, utilisation attestée depuis 1945.
L’univers du marketing étant friand d’anglicismes et de buzzword, “digital” au sens anglais s’est donc très rapidement retrouvé sur toutes les lèvres et dans toutes les conversations des milieux IT. Alors du coup, qui de “digital” ou de “digital” est-il juste d’employer ? Là est bien le nerf de la guerre !
Une fois encore, même les autorités compétentes ont du mal à trancher.
Tandis que l’Académie Française « [se garde] bien de confondre ces deux adjectifs “digital”, qui appartiennent à des langues différentes et dont les sens ne se recouvrent pas”, “le français [ayant] à sa disposition l’adjectif “numérique”, un certain nombre de linguistes s’accordent à dire que l’évolution des usages conditionnent les termes utilisés« . Ainsi, digital
serait aujourd’hui aussi légitime que numérique
, comme l’explique le linguiste Typhon Baal Hammon :
En ce qui concerne les mots
numérique
etdigital
, les deux semblent effectivement se trouver plus ou moins en concurrence. Il se trouve que les deux mots ont fini par recouvrir à peu près les même choses, c’est à dire grosso modo l’ensemble des équipements électroniques utilisant des représentations binaires. Il est à noter qu’aucun des deux n’avait ce sens à la base, et c’est par une évolution récente qu’ils ont acquis ce sens, comme, on le présume, pour la plupart du vocabulaire de ce domaine (mis à part les néologismes, bien sûr).
J’en profite pour insister sur un point : l’étymologie d’un mot ne nous donne en aucun cas son « vrai sens ». Le sens des mots fluctue et évolue de façon parfaitement naturelle et parfois hautement imprévisible : le puriste qui insiste pour utiliser un mot dans un sens désormais totalement désuet est exactement semblable à quelqu’un qui inventerait un mot de toute pièce et s’étonnerait qu’on ne le comprît point.
Aujourd’hui, il devient ainsi assez commun d’employer le terme de numérique
pour parler d’une facette plutôt technique, tandis que digital
aura une portée plus « marketing » ou centrée sur les habitudes des utilisateurs (utiliser son smartphone, jouer sur une tablette, taper sur un clavier…). Et là est bien le problème…
En fait, il s’avère que le marketing, à grands coups de destruction créatrice
et d’innovation disruptive
, à tendance à ne pas tenir compte des réussites du passé. Or, la plupart des technologies, des concepts et donc inévitablement des termes qui les définissent sont ancrés dans notre Histoire.
L’historien David Edgerton rappelle que la plupart des technologies que nous utilisons tous les jours n’ont pratiquement pas changé depuis un siècle ou plus. L’usage des buzzwords peut donc se révéler effectivement positive lorsqu’elle sert à traduire une réelle innovation dans les usages et les outils. Mais force est de constater qu’elle est encore trop souvent employée pour créer une impression de nouveauté sur des concepts pourtant préalablement existants.
Le terme « Buzzword » lui-même en est un parfait exemple : initialement apparu en 1946 sur les bancs étudiants anglosaxons (pour la petite histoire, il désignait les mots-clé importants à bêtement apprendre par coeur lors d’un cours magistral). Redéfini ensuite en 1988, il devient alors un mot ou une expression creuse ou imprécise employée par un nombre de personnes limité, mais faisant forte impression sur celles extérieures (ou « mot à la mode » en français). Légèrement tombé en désuétude, voilà quelques années que celui-ci réapparaît massivement dans le jargon professionnel, sous couvert de concept innovant. Conclusion :
Numérique
restera sans doute longtemps le terme préféré de ceux qui forment la technique et non le marketing. Néanmoins, digital
est tellement utilisé, notamment dans le secteur de la communication, grand pourvoyeur d’anglicismes, qu’il fait aujourd’hui partie intégrante du langage courant et recouvre plus ou moins les mêmes champs que numérique
, les deux termes ayant finalement des définitions assez larges.
Au BearStudio, nous nous attachons aux termes justes et non galvaudés : numérique restera donc numérique. Mais cela n’engage bien évidemment que nous ! 😉
David Endico
https://twitter.com/DavidEndico
Publié le 26/06/2017 dans Actualités